Ph Hernigou (Créteil)
Actuellement il est admis que la recherche d’un équilibre ligamentaire est un des éléments de la technique des prothèses totales de genou, que cet équilibre soit obtenu à partir des coupes osseuses ou des gestes ligamentaires. Mais aucune donnée chiffrée de normalité de cet équilibre ligamentaire n’a été rapportée. Le but de cette étude est de définir des valeurs limites de cette laxité à partir d’une série de genoux normaux et d’une série de 54 prothèses totales de genou revues avec un recul de plus de 10 ans.
Matériel et méthode
La laxité en extension des genoux normaux a été appréciée à partir des clichés en varus et valgus forcés, sur les genoux controlatéraux de genoux opérés par ostéotomie ou par prothèse.
La laxité en extension des genoux prothésés a été mesurée dans l’année postopératoire et au dernier recul par la décoaptation entre les pièces fémorales et tibiales sur des radiographies en appui monopodal. L’évolution de cette décoaptation dans le temps a été confrontée à la goniométrie postopératoire et au dernier recul des patients, au score IKS des genoux, au nombre de descellements et au nombre de liserés. Cette analyse multifactorielle était significative pour une valeur de p < 0,05.
Résultats
Sur un genou normal en extension, le cliché en valgus forcé ouvre le compartiment interne en moyenne de 2 mm (entre 1,5 et 3,5 mm) et le cliché en varus forcé ouvre le compartiment externe en moyenne de 3 mm (entre 2 et 4 mm). Ces données correspondent en valeur angulaire, à une décoaptation de 1° pour le cliché en valgus forcé et une décoaptation moyenne de 1,5° pour le cliché en varus forcé.
Parmi les 54 genoux prothésés, la première radiographie postopératoire effectuée en appui monopodal montrait une décoaptation externe supérieure ou égale à 3° pour 12 genoux dits laxes, et une décoaptation inférieure ou égale à 2° pour 42 genoux dits non laxes. Au dernier recul, de 13 ans en moyenne (minimum 11 ans, maximum 14 ans) les 42 genoux sans laxité sont restés stables et sans décoaptation, qu'il s'agisse des 34 genoux normo-corrigés (entre + 3 et -3°) ou des 8 genoux hypo-corrigés en varus de plus de 3° (entre 3 et 7°, moyenne = 5°). Les 12 genoux dont la décoaptation radiologique postopératoire était supérieure ou égale à 3° ont augmenté significativement (p < 0,05) leur laxité et leur décoaptation de 2,5° en moyenne au cours du temps. L'augmentation de la décoaptation est survenue, qu'il s'agisse de genoux normo-axés (7 cas) ou de genoux hypo-corrigés (5 cas). Cette augmentation de la décoaptation était néanmoins d'autant plus importante que le genu varum résiduel était important.
Quatre groupes de genoux ont ainsi pu être individualisés : normo-corrigés et stables, normo-corrigés et instables, hypo-corrigés et stables et hyper-corrigés et instables. Le nombre de descellements réopérés, le nombre de liserés évolutifs, sont significativement plus importants dans les genoux instables (2 descellements, 5 liserés évolutifs) que dans les genoux stables (aucun descellement ni liseré). Ils sont aussi plus importants dans le groupe des genoux normo-corrigés et instables (1 descellement, 2 liserés) que dans le groupe des genoux hypo-corrigés et stables (aucun descellement, aucun liseré).Le score IKS des genoux stables est superieur à celui des genoux instables quelle que soit la correction (p <0,05).
Discussion
Une laxité postopératoire en varus avec une décoaptation angulaire de plus de 3° correspondant à une ouverture du compartiment externe doit être évitée même si le genou est axé en postopératoire. Si le genou est stable, une hypo-correction modérée (entre 3 et 5° de varus) n'apparaît pas défavorable à long terme tant sur le plan de la laxité que sur le devenir des composants fémoraux et tibiaux.
En conclusion, dans un genu varum constitutionnel, une légère hypo-correction et un genou stable sont préférables à une normo-correction obtenue aux dépens de la stabilité.