S Ruffié, S Ferez (Pointe à Pitre, Guadeloupe)
L’usage des sciences sociales dans l’étude et l’analyse des problématiques de santé n’est encore que très peu répandu dans le domaine de la recherche comme dans celui des pratiques de santé. La perception biomédicale de la santé, malgré une définition de l’OMS bien plus large, demeure l’angle de vue privilégié, pour ne pas dire unique, dès lors que l’on s’intéresse à l’état et au traitement sanitaire de l’individu. Pourtant l’éclairage spécifique des sciences sociales (histoire, anthropologie, ethnologie et sociologie) méritent d’être considéré. Complémentaire à celui des sciences de la vie, il produit des effets dans la pratique. L’objet de cette présentation est, au travers de trois exemples d’études réalisées dans le cadre de l’équipe de recherche ACTES, de montrer l’intérêt de regards croisés (sciences biomédicales et sciences sociales) sur les problématiques de santé, notamment au sein d’un espace social pluriculturel comme celui des Antilles.
L’ouverture du champ d’étude du handicap par les sciences sociales permet une analyse particulière, large et complexe, de la santé sociale des individus « en situation de handicap ». L’aspect biomédical et les limitations fonctionnelles sous-jacentes sont des contraintes qui s’expriment socialement par un handicap, mais qui ne réduisent pas le « handicap » à leur simple expression. Les représentations sociales du corps meurtri, souvent négatives, agissent comme moteur à l’exclusion, elle-même source d’un mal-être qui constitue souvent la part la plus dommageable, sans pourtant que la médecine classique ne la prenne en charge. Ne s’intéresser qu’à l’aspect biomédical empêche de considérer l’ensemble de la situation et ses répercussions en termes de stigmate, d’exclusion, de limitation dans la participation sociale. Les résultats d’une enquête que nous avons effectuée en Guadeloupe auprès de sujets paraplégiques et tétraplégiques montre combien les représentations sociales négatives à l’encontre de ces personnes agissent comme moteur de leur exclusion. Cette enquête démontre en outre l’effet positif de la pratique sportive sur le bien être et l’estime de soi, dont on connaît l’importance au plan sanitaire. Le regard social vient ici compléter le regard biologique et médical, en offrant une prise en considération de la santé de l’individu à la fois plus complexe et plus proche du vécu des personnes touchées.
La seconde étude présentée concerne le diabète de type 2 et plus particulièrement les facteurs de prévalence (obésité, hypertension, régimes alimentaires…). Dans cette recherche, les approches en sciences sociales permettent de repérer différents types d’itinéraires sanitaires en lien avec des considérations sociales et culturelles. Si les médecins s’intéressent principalement aux aspects médicaux, ceux-ci ne peuvent réellement être interprétés qu’au regard d’un contexte plus large dans lequel des éléments comme l’origine culturelle et sociale, les croyances religieuses, les significations de la maladie et un ensemble de variables sociales ne peuvent être écartées. Le refus du traitement, ou les résistances à la pratique physique ne peuvent ici être compris en dehors d’une analyse des contraintes et des significations sociales qui orientent les habitudes et pratiques des individus.
Le troisième exemple porte sur la drépanocytose et le rapport, de jeunes adolescents touchés, à la pratique physique et sportive. Parce qu’elle est un facteur potentiellement déclenchant de crises aiguës, l’activité physique est souvent volontairement écartée du champ des possibles pour ces adolescents. Pourtant, l’étude montre combien la population adolescente peut souffrir d’une telle mise à l’écart. L’autorité médicale vient ici limiter les marges de liberté et choix de l’adolescent, par une recommandation trop stricte. Ce dernier se trouve ainsi dépossédé d’un moyen de construction identitaire, et parfois contraint d’être assigné à la marge. Les conséquences humaines de la non-participation sportive peuvent alors s’avérer tout aussi dommageables que les conséquences médicales directes d’une pratique physique déraisonnable.
L’ensemble de ces travaux vise finalement à montrer, le rôle majeur que les sciences sociales peuvent jouer dans une appréhension plus large des questions sanitaires. Dans une visée complémentaire à celle des sciences médicales, ces dernières semblent ainsi ouvrir de nouveaux champs d’expertises plus compréhensifs, susceptibles à la fois d’aider aux prises de décision des praticiens et d’améliorer la qualité de vie des individus qu’ils prennent en charge.