84. L’adaptation bipède humaine est le résultat d’une longue évolution… ses pathologies aujourd’hui en sont des «cicatrices» : luxations rotuliennes, instabilités rachidiennes, hallux valgus, trois exemples. - Human bipedal adaptation is the result of a long evolutionary process... its present day pathologies are “scars”: patellar luxations, instabilities of the vertebral column, hallux valgus, three examples.

C Tardieu, N Bonneau, J-P Damsin, R Seringe, G Duval-Beaupère (Paris), C Boulay (Marseille), J Legaye (Belgique), J-L Rouvillain (Fort de France), J-Y Dupont (†)


L’adaptation bipède humaine est le fruit d’une longue évolution. Si elle comporte de nombreux points forts, elle présente aussi des points faibles. Les transformations de notre appareil musculo-squelettique vers la bipédie ont impliqué l’association étroite d’avantages acquis et de risques encourus. Les pathologies causées aujourd’hui par notre comportement bipède ne sont que les conséquences de ces transformations et la concrétisation de ces risques… des « cicatrices » laissées par l’évolution. Nos travaux en offrent trois exemples : la luxation rotulienne, les instabilités rachidiennes et « l’hallux valgus ». Nous avons analysé les transformations subies au cours de l’évolution humaine par le genou, le complexe pelvi-rachidien et le pied. La comparaison avec la morphologie des primates non humains et des hominidés fossiles, a permis de « polariser » les variations morphologiques observées chez l’homme actuel (caractères primitifs/caractères dérivés). Pour ces trois pathologies, les morphologies dysplasiques identifiées révèlent des caractères primitifs.

1) L’acquisition de l’adduction des membres inférieurs chez les premiers australopithèques puis celle de l’extension du genou et de la hanche furent deux avantages qui ont assuré l’efficacité de notre marche bipède. Le risque associé à ces transformations fut la tendance à la luxation rotulienne. Dès 3 millions d’années l’obliquité de la diaphyse fémorale qui a permis cette adduction des genoux a modifié la direction du muscle quadriceps qui tend à pousser la rotule hors de son rail trochléen. Lors de l’extension totale du genou, la rotule est devenue vulnérable à la luxation externe. Dans la variabilité morphologique de la trochlée fémorale chez Homo sapiens, les formes dysplasiques sont plates, ce qui est un caractère primitif.

2) Le redressement du tronc, modification majeure vers la bipédie, a été rendu possible par des modifications cruciales du complexe bassin/rachis. Verticaliser la colonne vertébrale sur le bassin et régler son équilibre à l’aide de haubans musculaires initialement adaptés à un rachis de quadrupède à courbure unique fut un défi face à la gravité. Si le redressement apporta de précieux avantages : libération de la main, dialogue main-cerveau, accroissement cérébral…. les risques associés, les pathologies de l’équilibre rachidien, furent nombreux : instabilité rachidienne, spondylolysthesis…. Les travaux de G. Duval-Beaupère ont montré que l’équilibre du tronc sur les membres inférieurs est stable et économique si la courbure lombaire est en harmonie avec la morphologie sagittale du bassin, exprimée par « l’angle d’incidence sacrée ». La variabilité humaine de cet angle est très forte (35°-75°). Les angles d’incidence faibles, générant des instabilités rachidiennes, sont primitifs.

3) Le pied humain, autrefois adapté à la préhension, est aujourd’hui adapté à une fonction d’appui et de propulsion qui lui confère de nombreux avantages : stabilité au sol, vitesse… Cette conversion de fonction, impliquant également des muscles de la jambe, a comporté de hauts risques : elle est à l’origine d’une déformation du premier rayon du pied, «l’ hallux valgus ». Cette pathologie objective une disposition du premier rayon caractéristique du pied ancestral, avec retour d’une mobilité en abduction du 1er métatarsien que le pied humain avait normalement perdue. Ce flambage du premier rayon constitue un échec spectaculaire de l’appui du pied bipède au sol.
A la lumière de ces exemples, nous suggérons que l’évolution procède en « bricolant », fabriquant du nouveau en recyclant de l’ancien. Nos réflexions rejoignent celles de F. Jacob et de sa célèbre formule. Le bricolage serait ici de nature mécanique face à un acteur tout puissant, la gravité.

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