Wajsfisz, J Amzalag, F Khiami
Paris – France
Les cals vicieux intra articulaires représentent la complication tardive la plus fréquente après fracture des plateaux tibiaux. Ils résultent le plus souvent d’un défaut de réduction initiale, soit en l’absence de traitement chirurgical, soit après un traitement arthroscopique ou chirurgical. Le plus souvent, il s’agit d’un relèvement du plateau tibial externe insuffisant, d’un défaut de réduction de fracture spino-tubérositaire ou d’un déplacement secondaire après une réduction initiale correcte.
Entre 2004 et 2012 nous avons traité 16 cals vicieuses avant apparition d’arthrose et 24 cals vicieux après apparition de l’arthrose. Nous ne rapporterons ici que les cals vicieux sans arthrose traités par ostéotomie du cal.
Tous les cals vicieux que nous avons regroupé étaient secondaires à des fractures comportant soit un trait de séparation de la tubérosité interne, isolé, ou associé à un autre trait (fractures S IV, V, et VI) soit un enfoncement ou une séparation du plateau tibial externe (Fractures S I, II, III)
Nous avons ainsi étudié les séquelles de différentes fractures :
Anatomo-pathologie des différents types de cals vicieux
1- Les cals vicieux sur fracture séparation postérieure
Le déplacement du fragment séparé se fait en bas et en arrière, créant une marche d’escalier sur le plateau tibial. Des lésions du plan ligamentaire externe peuvent être associées. Par contre le faisceau superficiel du ligament collatéral médial est conservé, ce qui explique les rapports normaux sur le cliché de face entre le fémur et le fragment interne séparé. L’association d’une désinsertion du ligament croisé antérieur par arrachement de l’épine tibiale est fréquente.
Le mécanisme semble être une compression axiale sur genou en varus et en flexion.
2- Les cals vicieux sur fracture spino tubérositaire (Schatzker IV)
• Les cals vicieux sur fracture spino-tubérositaire de deuxième degré : le déplacement est transversal avec une luxation vers le dehors de l’épiphyse tibiale qui déborde latéralement l’épiphyse fémorale.
• Les cals vicieux sur fracture spino-tubérositaire de troisième degré : le déplacement se fait en haut et en dehors. Très souvent une fracture tassement du plateau tibial externe l’accompagne en raison de l’impact avec le bord externe du condyle fémoral. Parfois le condyle externe parait incarcéré dans le foyer de fracture.
Le point commun de ces fractures est là encore la conservation de rapports normaux entre le fragment séparation interne et le fémur. Leur mécanisme comporte une compression axiale combinée à un varus.
3- Dans les fractures bitubérositaires, la fracture séparation interne est associée à une fracture de la tubérosité externe (Schatzker V)Si l’énergie du traumatisme est importante le trait séparation interne peut s’accompagner d’un trait métaphysaire extra articulaire réalisant une solution de continuité métaphyso-diaphysaire (Schatzker VI).
Etude de la série de la Pitié
Nous avons regroupé 16 fractures anciennes traitées à la Pitié avec cal vicieux
Il s’agissait de 7 hommes et 9 femmes. L’âge moyen était de 42 ans
Les 16 cals vicieux étaient survenus 6 fois après une fracture Schatzker IV, 4 fois Schatzker V, 6 fois Schatzker VI.
Les erreurs thérapeutiques ayant conduit à ces cals vicieux étaient de différents ordres, parfois combinées : absence de réduction initiale malgré un abord interne ou combiné, voie externe isolée de fixant pas le fragment interne avec mauvaise réduction initiale ou déplacement secondaire.
Le traitement des 16 cals vicieux a consisté en 12 ostéotomies, une arthrolyse, 3 ablations de matériel
• Dans 3 cas, la gêne fonctionnelle étant modérée, nous n’avons pratiqué qu’une ablation de matériel sans traiter le cal vicieux.
• Dans un cas, nous avons réalisé une ablation de matériel avec arthrolyse arthroscopique, pensant réaliser secondairement une correction du cal vicieux. Malgré un cal vicieux majeur sur une fracture spino-tubérositaire de degré 3 avec enfoncement du plateau tibial externe, le résultat fonctionnel s’est avéré satisfaisant probablement en raison de la persistance d’un cartilage correct sur le compartiment fémoro-tibial interne alors que l’axe était en varus.
• Parmi les 12 ostéotomies, nous avons réalisé :
• 3 ostéotomies de réaxation dans le plan frontal en zone métaphysaire
• 3 ostéotomies dans le cal d’un trait spino-tubérositaire à grand déplacement
• 5 ostéotomies dans le cal avec relèvement du plateau tibial interne (Figure n°8)
• 1 ostéotomie combinée de dérotation et flexion sur une fracture Schatzker VI avec défaut de rotation de 20° et inversion de pente tibiale.
Discussion : .Les ostéotomies proposées dans la littérature sont de différents types :
– Soit ostéotomie métaphysaire de réaxation : il s’agit d’une ostéotomie palliative ne corrigeant pas directement le cal vicieux intra articulaire, mais corrigeant l’axe du tibia.
Ce type d’ostéotomie (en règle addition interne ou latérale en fonction de la fracture) s’adresse surtout aux séquelles de fracture unitubérositaire par tassement ou tassement-séparation, en cas de déviation axiale et lorsque le compartiment opposé est préservé.
– L’ostéotomie sous glénoidienne de relèvement intra ligamentaire décrite par Hulten en 1932 et introduite en France par R Merle d’Aubigné, est une ostéotomie horizontale de relèvement maintenue par une autogreffe. Elle s’adresse surtout aux cals vicieux avec enfoncement unitubérositaire type Schatzker II et III. La date idéale de réalisation serait à partir de 3 semaines, mais il serait possible de la faire plus précocement.
Nous ne l’avons pas réalisé, lui préférant l’ostéotomie oblique de relèvement.
– L’ostéotomie du cal a été décrite par R Judet
Elle parait nécessaire dans certaines déformations majeures où l’importance du déplacement est telle qu’il existe un élargissement majeur de l’épiphyse tibiale avec ascension de sa partie latérale.
La fracture spino tubérositaire degré 3 peut s’accompagner d’un déplacement majeur : la réalisation d’une ostéotomie du cal peut être nécessaire pour retrouver une anatomie proche de la normale et faciliter une éventuelle prothèse ultérieure, si celle-ci s’avère nécessaire.
– L’ostéotomie oblique de relèvement du plateau tibial interne est proche techniquement de celle que nous réalisons pour traiter certaines séquelles de maladie de Blount après fusion du cartilage de croissance : il s’agit d’une ostéotomie oblique de dedans en dehors et de bas en haut, dirigée vers le massif des épines tibiales. Le relèvement est maintenu par un greffon iliaque cortico-spongieux et le plus souvent fixé par une ostéosynthèse.Il s’agit d’une ostéotomie « intra-ligamentaire » passant à l’intérieur du faisceau superficiel du ligament collatéral médial, conservé dans ce type de fracture.
En cas de cal vicieux sur fracture spino glenoidienne de degré 2 ou 3, l’ostéotomie première est le plus souvent recommandée pour redonner une anatomie correcte et rendre plus facile une éventuelle prothèse secondaire.
Conclusions : Si les pseudarthroses des plateaux tibiaux demeurent rares, les cals vicieux ne le sont pas dans les fractures à trait spino-tubérositaire interne. Ils sont le plus souvent secondaires à une erreur thérapeutique : mauvais choix de la voie d’abord en particulier réalisation d’une voie latérale unique, mauvaise fixation ne prenant pas le fragment postéro-interne, mauvaise réduction.
Certains cals vicieux sont bien tolérés sur le plan fonctionnel : s’il n’existe pas de désaxation majeure, il peut être licite de ne pas les corriger ou de réaliser des interventions peu invasives : ablation de matériel, arthrolyse arthroscopique en cas de raideur associée.
En cas de mauvaise tolérance fonctionnelle, il est logique de proposer une ostéotomie de correction soit purement palliative en cas de déviation axiale sans cal vicieux intra-articulaire majeur, soit dans le cal et en intra-articulaire en cas de déplacement important.