G Versier, C Choufani, E. Bilichtin, O Barbier (Saint-Mandé)
La prévalence de l’obésité dans le monde a doublé entre 1980 et 2008. L’obésité, définie par un BMI (Body Mass Index) > 30 kg/m2, atteint aujourd’hui 13% de la population mondiale.
La France n’est pas épargnée par ce phénomène, affichant en 2014 une prévalence de 21,9% pour les femmes et 22% pour les hommes. La lutte contre l’obésité est l’une des préoccupations majeures de l’OMS pour les années à venir.
En chirurgie orthopédique, l’impact de l’augmentation de l’obésité se fait ressentir. Aujourd’hui, un chirurgien orthopédique doit s’attendre à recevoir un tiers de patients obèses. Il est donc nécessaire de s’intéresser à cette population et aux spécificités qu’elle présente à chaque étape de la prise en charge.
Le patient obèse est sujet à un état inflammatoire chronique et à un stress biomécanique induit par la présence d’adipokines en quantité excessive. Les conséquences sont un risque septique plus élevé mais également une atteinte inflammatoire favorisant la dégénérescence du cartilage notamment au niveau du genou. En moyenne un patient obèse devra bénéficier d’une arthroplastie du genou 7 ans avant un patient présentant un BMI < 25 kg/m2.
Au cours de leur prise en charge, une approche multidisciplinaire est indispensable. Les comorbidités associées sont fréquentes et ont, elles aussi, des conséquences sur le geste chirurgical. Un diabète mal équilibré contribuera a multiplié le risque infectieux. Les atteintes pulmonaires notamment la présence d’un syndrome restrictif pourra modifier la position opératoire. Enfin, les défaillances d’organes telles que l’insuffisance rénale et insuffisance cardiaque secondaires à l’anesthésie générale pourront mettre en jeu le pronostic vital du patient et augmenter sa durée de séjour à l’hôpital.
Du point de vue du traumatologue, les patients obèses sont soumis à des lésions plus spécifiques. La littérature relève un taux plus important de fractures du fémur distal, de la cheville et du calcanéum. L’obésité est également retrouvée chez 56% des patients victimes d’une luxation de genou à faible cinétique. En revanche, les patients obèses semblent d’avantage protégés des lésions pelviennes et abdominales compte tenu de l’épaisseur de leur tissu mou.
Afin d’optimiser la prise en charge du patient obèse, une réflexion et une préparation à chaque étape de leur prise en charge doit avoir lieu.
Tout d’abord, l’hôpital doit s’équiper du matériel approprié : des brancards, des lits et des tables opératoires ayant une charge maximale adaptée. En imagerie, au-delà de la charge maximale autorisée, il faut également adapter le matériel car les arceaux de scanner et d’IRM ont une largeur standard comprise entre 60 et 80 cm. Enfin, pour les consultations, il faut privilégier des sièges sans accoudoirs et des tables d’examen adaptées tant en charge qu’en largeur.
La réflexion sur le geste opératoire doit porter à plusieurs niveaux. La préparation pré-opératoire doit être soigneuse compte tenu de la macération dans les plis. Le choix de la méthode d’anesthésie est important compte tenu des comorbidités. Une anesthésie générale augmente en moyenne de 18 minutes le temps passé en salle d’intervention et les complications post-opératoires par rapport à une anesthésie locorégionale. Il est également important d’adapter les doses de médicaments et notamment celle de l’antibioprophylaxie en fonction du poids du patient.
La position opératoire doit être décidée en collaboration avec l’équipe d’anesthésie. La position en décubitus ventral est difficilement tolérée en présence d’un syndrome restrictif pulmonaire et le décubitus latéral doit être privilégié. La voie d’abord doit être adaptée afin de permettre une bonne exposition et une moindre tension cutanée lors de la fermeture. Les temps opératoires doivent être reconsidérés car l’obésité augmente en moyenne de 13 minutes la durée du geste opératoire et de 20 minutes le temps passé en salle d’intervention compte tenu des difficultés d’installation de ces patients. L’épaisseur du panicule adipeux sous cutané qui se défend mal contre l’infection doit exiger une prévention accrue des ISO avec une bordure systématique de la plaie opératoire et son drainage en sous-cutané.
En post-opératoire, l’obésité a un rôle important sur la morbidité et la mortalité (RR : 2,51). Les événements thromboemboliques sont également plus fréquents. La chirurgie orthopédique est une chirurgie à risque majeur. En l’absence de traitement, le risque d’évènements thromboemboliques cliniques est de 14% après une fracture de l’extrémité supérieure du fémur. Une prophylaxie anti-thrombotique adaptée au poids et à la fonction rénale, associée à une compression mécanique est indiquée, et permettent de réduire de moitié ce risque.
Il faut également réfléchir à l’immobilisation de ces patients. Les immobilisations plâtrées sont souvent mal tolérées compte tenu de la macération importante et des variations de volume liées à l’œdème aux membres inférieurs. Certaines études américaines préconisent un recours plus précoce à une botte amovible. La récupération fonctionnelle du patient obèse est également plus longue compte tenu de la faible activité physique de départ.
En conclusion, l’obésité est un facteur de risque de mauvais pronostic en chirurgie orthopédique. Cependant, une prise en charge réfléchie et adaptée doit contribuer à faire diminuer la morbidité et la mortalité chez ces patients.