J.M. Vital
(Bordeaux)
Nous ne parlerons ici que de patients souffrant de lésions arthrosiques, dite dégénératives, et se plaignant de rachialgies cervicales ou le plus souvent lombaires. Nous sommes dans le domaine de la douleur chronique et donc le plus souvent ici de la lombalgie chronique, un sujet hautement fonctionnel. Huit sujets sur 10 connaitront un épisode de lombalgie pendant leur vie et 6 à 8% basculeront vers la chronicité. Ces chiffres sont ceux de pays industrialisés ; ils sont bien inférieurs dans les pays émergents. Même sous nos contrées, la grande majorité s’accommoderont de ce handicap en en parlant à peine à leur médecin traitant ou en nous montrant, entre 2 portes, des radiographies ou une IRM dévoilant des images arthrosiques bien marquées pour une gêne consentie. Nous reviendrons dans le chapitre suivant sur cette distorsion anatomo-clinique. D’autres avant ou plutôt que d’arriver dans le bureau du chirurgien auront eu la bonne idée d’aller voir un kinésithérapeute, un ostéopathe, un médecin rééducateur ou un rhumatologue. Tous ces spécialistes, très compétents en la matière, seront court-circuités pour aller voir directement le chirurgien surtout s’il est plus accessible du fait du grand nombre de sa confrérie à proximité ; comme pour tout métier, le nombre crée le besoin.
Nous voilà donc maintenant devant le patient dans le bureau de consultation. Une première impression, presque instantanée, partagée par de nombreux collègues expérimentés, fait parfois penser : « ce patient n’est pas chirurgical ». Elle ne repose que sur du subjectif, mais elle existe.
De façon plus objective il faudra bien analyser la description de la douleur ressentie par le patient, sa personnalité, sa projection positive vis à vis de l’éventuel programme opératoire. Il faudra aussi l’intégrer dans un modèle bio-psycho-social, savoir qu’il détient des informations médicales plus ou moins valides captées sur les réseaux sociaux (patient 2.0)
1. Description de la douleur ressentie : Dans la lombalgie chronique, on sera prudent vis à vis d’une indication opératoire car les armes chirurgicales se résument au blocage intervertébral (arthrodèse) voire plus rarement à la prothèse discale chez patient qui de surplus à la question « quel votre motif de consultation ? » se lance dans un discours ininterrompu de plusieurs minutes ; c’est ce que Simonnet appelle la « douleur parole ». Le patient présente parfois un écrit de plusieurs pages sur son vécu douloureux (« douleur écriture ») ou alors des diagrammes très détaillés où chaque événement journalier interférant avec sa douleur est consigné. Le dessin de la douleur (outil clinique obligatoire pour toute consultation rachidienne) est souvent caricatural avec, bien sûr, la zone lombaire douloureuse mais avec des points douloureux nombreux et diffus. Le diagnostic de fibromyalgie est souvent connu du patient. Cette entité nosologique discutée qui s’appelait autrefois polyenthésopathie correspond à un état polyalgique chronique qui n’a aucune solution chirurgicale, tout au moins au niveau du rachis. Le terme de « vulnérabilité à la douleur » proposé par Simonnet avec des explications neurophysiologiques, notamment sur l’insuffisance du Contrôle Inhibiteur Diffus Nociceptif (CIDN) remplacera peut-être celui de la fibromyalgie.
On sera aussi très prudent vis à vis d’une indication chirurgicale chez le patient où toutes les alternatives thérapeutiques ont échoué, le plus surprenant étant d’entendre qu’une infiltration rachidienne d’anti-inflammatoire a aggravé la situation. Dans ce sens, le patient ayant vécu tous les moyens conservateurs (médicaments, rééducation, infiltrations) comme un échec, pense à tort que la chirurgie est la seule solution à son problème.
2. La personnalité du patient : Sans utiliser des questionnaires à caractère purement psychologique comme Havakeshian qui a reconnu le Fear Avoidance Beliefs Questionnaire dans sa partie activité physique (FABG-PA) comme le meilleur outil psychologique pour prévoir le résultat chirurgical, on peut utiliser le questionnaire de Hall [8] qui en 5 questions permet de comprendre comment le patient se comporte vis-à-vis de sa douleur : pense-t-il que d’autres sont responsables de sa douleur, qu’il n’ a d’ écoute et de compréhension autour de lui ? Ceci permet de voir si le patient a un lieu de contrôle interne (avec des systèmes de défense, un coping, une résilience) permettant d’espérer un bon résultat chirurgical ou, à l’inverse, un lieu de contrôle externe, chez un patient qui pense que tout ce qui lui arrive vient de l’extérieur, sans aucune remise en cause personnelle et chez lequel on peut craindre un mauvais résultat chirurgical, avec possibilité de revendication.
On peut espérer que les progrès de l’Intelligence Artificielle participent à l’évaluation de nos patients en intégrant ce type d’information complexe, afin d’optimiser les indications.
3. La projection positive vis-à-vis du résultat de l’acte opératoire : Elle a été parfaitement étudiée par Mannion. L’exemple caricatural est celui de la reconstruction isthmique du sportif de haut niveau : la chirurgie consiste à greffer et ostéosynthéser cette fracture de fatigue de l’isthme le plus souvent de L5 (qui dans la grande majorité des cas pourrait devenir indolore grâce au traitement conservateur, qui peut durer plusieurs mois). Le sportif veut cette chirurgie pour reprendre la compétition le plus rapidement. Dans toutes les séries, les opérés sont très satisfaits alors que la consolidation osseuse n’est acquise que dans 70% des cas.
4. Le modèle bio-psycho-social : Il est parfaitement représenté dans la, si simple mais si vraie de Mac Nab. Dans la douleur exprimée par le patient, il y a une part organique (difficile à déterminer dans la lombalgie commune pure, en dehors du signal Modic 1 que nous décrirons dans le chapitre suivant), une part psychologique décrite ci-dessus et une part socio-professionnelle. L’acte chirurgical, l’arthrodèse dans le cadre de la lombalgie, réduira partiellement la douleur (facteur organique) mais les facteurs psycho-sociaux étant toujours là, le seuil d’insatisfaction initialement disparu en post-opératoire sera probablement à nouveau atteint dans le temps et, dans ces circonstances, malgré un acte opératoire parfait, le patient peut être déçu. Il existe évidemment des situations où le facteur organique est plus important comme en cas de compression radiculaire ou a fortiori médullaire ; les indications opératoires sont alors peu discutables et les bons résultats mieux garantis. Seul petit bémol à ce sujet, la compression radiculaire sévère par hernie discale ou arthrose chez le sujet âgé : un tableau brutal avec un déficit moteur et peu ou pas de douleur correspond à une ischémie radiculaire et la levée chirurgicale de la compression, pourtant bien concordante, n’est pas indiquée car pratiquement toujours inefficace sur la parésie.
5. Les mutations sociétales et le « patient 2.0 » : Comme dans tous les domaines, la société change et cela n’épargne pas la médecine. L’immémoriale relation médecin-malade évolue, dans la cadre d‘une nouvelle démographie médicale. Nos patients, à juste titre, se sont approprié leur histoire et prennent part aux choix décisionnels les concernant, informés non seulement de façon verticale par leur praticien, mais également par le flux énorme des réseaux sociaux, des sites généralistes et des avis des proches, une constellation de données pas toujours pertinentes. C’est pourtant une évolution sociétale irréversible, et il nous appartient de garder le cap dans cette profusion d’informations, de faire le tri pour nos patients, et de revenir aux éléments fondamentaux de la corrélation anatomo-clinique, dans un effort de transparence qui n’est pas encore parfaitement intégré au sein d’une profession en mutation.
We will only talk here about patients suffering from osteoarthritic lesions, called degenerative, and complaining of cervical or most often lumbar spine. We are in the field of chronic pain and therefore most often here chronic low back pain, a highly functional subject. Eight in 10 subjects will experience an episode of low back pain during their lifetime and 6 to 8% will switch to chronicity. These figures are those of industrialized countries; they are much lower in emerging countries. Even in our country, the vast majority will live with this handicap by barely speaking to their doctor or by showing us, between two doors, x-rays or an MRI revealing osteoarthritic images well marked for a consented discomfort. We will return in the next chapter on this anatomy-clinical distortion. Others before or rather than arriving in the surgeon’s office will have had the good idea of going to see a physiotherapist, an osteopath, a rehabilitation doctor or a rheumatologist. All these specialists, very competent in the matter, will be short-circuited to go directly to the surgeon especially if he is more accessible because of the large number of his brotherhood nearby; as for any profession, the number creates the need.
Now we have the patient in the office. A first impression, almost instantaneous, shared by many experienced colleagues, sometimes makes you think: «this patient is not surgical». It is only subjective, but it exists.
More objectively, it will be necessary to analyze the description of the pain felt by the patient, his personality, his positive projection towards the possible operating program . It will also have to be integrated into a bio-psycho-social model, knowing that it holds more or less valid medical information captured on social networks (patient 2.0)
1. Description of pain experienced : In chronic low back pain , one will be careful with an operative indication because the surgical weapons are summed up in intervertebral blockage (arthrodesis) or more rarely in the disc prosthesis in patients who surplus to the question « what your reason for consultation? » starts a continuous speech of several minutes; this is what Simonnet calls «pain speech». The patient sometimes presents several pages of writing about his painful experience («pain writing») or very detailed diagrams where each daily event interfering with his pain is recorded. The drawing of the pain (clinical tool mandatory for any spinal consultation) is often caricatural with, of course, the painful lumbar area but with numerous and diffuse painful points. The diagnosis of fibromyalgia is often known to the patient. This nosological entity discussed that was formerly called polyenthesopathy corresponds to a chronic polyalgic state that has no surgical solution, at least at the level of the spine. The term «pain vulnerability» proposed by Simonnet with neurophysiological explanations, especially on the insufficiency of the Diffusive Nociceptif Inhibitor Control (CIDN) may replace that of fibromyalgia
One will also be very careful about a surgical indication in the patient where all the therapeutic alternatives failed, the most surprising being to hear that an anti-inflammatory spinal infiltration worsened the situation. In this sense, the patient who has experienced all the conservative means (drugs, rehabilitation, infiltrations) as a failure, wrongly thinks that surgery is the only solution to his problem.
2. The patient’s personality : Without using purely psychological questionnaires like Havakeshian who recognized the Fear Avoidance Beliefs Questionnaire in his physical activity part (FABG-PA) as the best psychological tool for predicting the surgical outcome, we can use the Hall questionnaire [8] which in 5 questions allows us to understand how the patient behaves vis-à-vis his pain: he thinks that others are responsible for his pain, that he has no listening and understanding around him? This allows to see if the patient has a place of internal control (with defense systems, coping, resilience) allowing to hope a good surgical result or, conversely, a place of external control, in a patient who thinks that everything that happens to him comes from the outside, without any personal questioning and in whom we can fear a bad surgical result, with possibility of claim.
We can hope that the progress of artificial intelligence will contribute to the evaluation of our patients by integrating this type of complex information, in order to optimize indications.
3. Positive projection of the result of the operative act. : It was perfectly studied by Mannion . The caricatural example is that of the isthmic reconstruction of the high-level sportsman: the surgery consists in grafting and osteosynthesis this fatigue fracture of the isthmus most often of L5 (which in the vast majority of cases could become painless thanks to the conservative treatment, which can last several months). The athlete wants this surgery to resume the competition as quickly as possible. In all series, operations are very satisfied while bone consolidation is acquired in only 70% of cases.
4. The bio-psycho-social model : It is perfectly represented in the , so simple but so true of Mac Nab. In pain expressed by the patient, there is an organic part (difficult to determine in pure common low back pain, apart from the signal Modic 1 that we will describe in the next chapter), a psychological part described above and a socio-professional part . . The surgical procedure, arthrodesis in the context of low back pain, will partially reduce the pain (organic factor) but the psychosocial factors are still there, the threshold of dissatisfaction initially disappeared in postoperative will probably be reached again in time and, in these circumstances, despite a perfect surgical act, the patient may be disappointed. There are obviously situations where the organic factor is more important as in case of radicular compression or a fortiori medullary; the surgical indications are then little questionable and the good results better guaranteed. Only small downside in this regard, severe root compression by herniated disc or osteoarthritis in the elderly: a brutal picture with a motor deficit and little or no pain corresponds to a radicular ischemia and surgical lifting of compression, however well concordant, is not indicated because almost always ineffective on paresis.
5. Societal Mutations and the “Patient 2.0” : As in all fields, society is changing and this does not spare medicine. The immemorial doctor-patient relationship is evolving, as part of a new medical demography. Our patients, rightly, have appropriated their history and take part in the decision-making decisions concerning them, informed not only vertically by their practitioner, but also by the huge flow of social networks, general sites and opinions of loved ones, a constellation of data not always relevant. Yet it is an irreversible societal evolution, and it is up to us to stay the course in this profusion of information, to do the sorting for our patients, and to return to the fundamental elements of the anatomo-in an effort to achieve transparency that is not yet fully integrated into a changing profession.